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Portraits de femmes artistes, avec Margaux Brugvin

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« Avant j’avais peur de ne pas être légitime, de ne pas être à ma place mais j’ai énormément pris confiance en moi et en mes connaissances intellectuelles »

Les portraits de Margaux, c’est un peu comme une belle surprise à laquelle on ne s’attend pas. C’est une amie en commun qui m’a parlée de son compte Instagram et de ses étonnants portraits d’artistes. Étonnants, pourquoi ? Parce que, pour une fois, on y parle d’artistes femmes. Et pour être tout à fait honnête avec vous, avant de découvrir le compte Instagram de Margaux, je n’en connaissais pas la plupart.

Pendant les vacances de Noel, j’ai pris le temps de découvrir le portrait d’Artemisia Gentileschi, l’une des plus grandes peintres baroques du XVIIème siècle. Le portrait fascinant d’une artiste tombée dans l’oubli et dont les œuvres ont, pour la plupart, été réattribuées à des hommes. Non mais vous y croyez ?

Aujourd’hui, c’est à moi de me prêter au jeu des portraits et celui que je veux vous présenter n’est autre que celui de Margaux elle-même.

Inspire : Comment vas-tu en ce moment ? Comment te sens-tu pendant la période des fêtes ?

M.B : Tout va très bien ! Même si l’année 2020 n’a pas été facile, il y a aussi eu du positif d’un point de vue professionnel. A cause du confinement, j’ai perdu pas mal de contrats mais cela m’a aussi permis de me lancer dans les vidéos que je publie tous les dimanches.

Et puis la période des fêtes, j’adore ! Alors je reste positive pour 2021.

 

Inspire : Comment en es-tu venue pendant le premier confinement à réaliser le portrait de femmes artistes ?

M.B : J’avais cette idée depuis longtemps mais cela m’a pris 4 ans pour la concrétiser.

Pour vous expliquer un peu l’histoire de ces vidéos, j’ai arrêté il y a 4 ans de travailler dans l’art contemporain mais je voulais trouver un moyen de rester en contact avec le monde de l’art.

Et puis, j’ai commencé à écouter beaucoup de podcasts féministes et je me suis rendue compte que je n’avais aucun livre écrit par un homme dans ma bibliothèque.

Grâce aux livres, j’ai compris le combat que c’était d’être une femme et j’ai réalisé que je ne connaissais que très peu d’artistes femmes. Même pendant mes études d’art, je n’en ai pas étudié une seule et personne dans mon entourage n’était capable de m’en citer au moins 5. 

J’ai fait énormément de recherches sur le sujet et j’ai notamment découvert 3 historiennes fascinantes Linda Nochlin (voir photo à droite), Griselda Pollock et Whitney Chadwick. Je voulais donc trouver un moyen de partager tout ce que j’avais appris. Mais pendant des années, je n’ai pas osé me lancer. Je craignais de ne pas être suffisamment légitime, de ne pas être prise au sérieux et surtout je n’arrivais pas à trouver un ton qui me correspondait.

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Et puis, juste avant mes 30 ans, alors que je n’avais plus de missions, je me suis dit qu’il était temps de faire quelque chose que j’aimais. J’ai profité du confinement pour me lancer. J’ai commencé avec une première vidéo sur Frida Kahlo. Une artiste mexicaine mondialement connue mais que j’ai aussi beaucoup redécouverte au travers de mes recherches.

Aujourd’hui, lorsque je regarde une vidéo que j’ai réalisée il y a 6 mois, je me trouve affreuse mais ce n’est pas grave, je vais de l’avant et je me dis que c’est en essayant et en persévérant que l’on s’améliore.  

Inspire : Te sens-tu plus légitime aujourd’hui à parler de femmes artistes ?

M.B : Ce n’est jamais facile d’être toujours à l’aise face à une caméra, surtout lorsqu’on parle de sujets aussi pointus. Mais la vidéo qui m’a donnée le plus en confiance en moi, c’est celle que j’ai réalisée sur Zanele Muholi (voir photo si dessous). Avec cet.te artiste, j’ai abordé des sujets complexes, sensibles, qui me tiennent à cœur mais qui ne me concernent pas directement. Zanele Muholi est noir.e, non binaire et lesbienne. 

C’était très difficile de trouver le ton juste pour que chacun comprenne l’importance, la beauté et la complexité de son travail sans que ceux qui ne sont pas sensibles à ces sujets se sentent perdus ni que ceux qui les connaissent de près se sentent offensés par des simplifications, des inexactitudes ou des maladresses. J’étais particulièrement stressée par les retours sur cette vidéo, mais ils étaient finalement très positifs. J’ai eu un déclic à ce moment-là : tant que je parle avec honnêteté, en restant humble et transparente sur ce que je sais ou non, tout le monde a un regard bienveillant et me suit dans mon discours, même s’il s’agit de sujets particulièrement complexes.

Même mon grand-père a adoré cette vidéo alors qu’il n’est pas forcément la personne la plus sensible à ces questions.

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Inspire : Des conseils ou retours de personnes qui t’ont marqués ?

M.B : Oui, surtout des conseils techniques mais toujours bienveillants.

 

Inspire : Pourquoi penses-tu qu’on parle aussi peu des femmes dans l’art ?

M.B : C’est la conséquence de centaines d’années de patriarcat. Pendant des siècles, les femmes n’ont pas eu accès à l’art, et nous sommes les héritiers et héritières de ce système. Le sexisme est un poison insidieux. Nous l’avons tellement intégré qu’il est très difficile d’en mesurer l’ampleur… Même si, aujourd’hui, nous avons l’impression que les choses ont changé et même si la plupart d’entre nous sommes de bonne volonté, nous sommes encore très loin de la parité en ce qui concerne la représentation des artistes, que ce soit dans les galeries, les musées ou les médias…

 

Inspire : Comment choisis-tu les femmes artistes dont tu souhaites parler ?

M.B : Ce sont toujours des artistes dont j’apprécie l’art, dont je souhaite partager le travail ou des artistes que je ne connais pas assez.  

Je connaissais bien Judy Chicago et les Guerilla Girls, mais je voulais approfondir mes connaissances sur les artistes qui revendiquent créer un art féministe, notamment Lubaina Himid.

J’ai quand même une liste de 150 artistes dont j’aimerais parler mais j’en découvre de nouvelles toutes les semaines.

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Inspire : J’ai lu que tu aimais beaucoup l’expressionisme abstrait. Qu’est-ce qui te plait dans ce courant ?

M.B : Mon intérêt pour l’expressionisme abstrait n’a pas commencé lorsque j’étudiais l’Histoire de l’art mais lors d’une expo au MoMa à New York. C’était devant l’œuvre Autumn Rythm de Pollock. Sans comprendre pourquoi et pour la première fois de ma vie, j’ai pleuré devant cette œuvre. J’étais touchée. Et depuis, je ressens toujours quelque chose de particulier pour les œuvres de ce courant artistique.

 

Inspire : Peux-tu nous parler un peu de ta façon de travailler ? Temps de travail, recherches, montage ?

M.B : Il me faut à peu près 3 jours pour réaliser une vidéos.

Je fais tout sur mon téléphone portable grâce à l’application Kine Master.

Dans l’idéal il me faudrait deux jours mais je ne tiens jamais ce délai – je fais toujours beaucoup de recherches – je confronte les points de vue.

Ensuite, je rédige le script – une partie que j’adore et enfin, je monte la vidéo et j’incorpore les sous-titres, ce qui prend finalement beaucoup de temps. Il faut ensuite que je poste la vidéo sur Instagram en faisant un peu de com. Et tout cela, sans compter les problèmes de wifi qui peuvent me rajouter jusqu’à deux trois heures.  

 

Inspire : Continues-tu toujours à faire de la création de contenus pour des marques ? Comment arrives-tu à jongler entre les deux ?

M.B : J’adore avoir plusieurs projets en même temps. En novembre, j’ai terminé ma dernière mission de mon « métier d’avant ». Je n’ai plus que des clients pour qui je produis du contenu sur l’art aujourd’hui. Sézane, par exemple.

Une fois par mois, j’ai des missions ponctuelles. J’ai travaillé récemment pour FILAF, un festival de films et de livres d’art à Montpellier.

J’ai également réalisé une vidéo sur les muses pour la première exposition de la galerie Love &  Collect.

Inspire : Qu’as-tu appris sur toi grâce à ces derniers mois ?

M.B : J’ai appris que j’étais capable de beaucoup travailler ! (rires)

Avant j’avais peur de ne pas être légitime, de ne pas être à ma place mais j’ai énormément pris confiance en moi et en mes connaissances intellectuelles.

J’ai aussi appris à valoriser mon travail, ce que je faisais. J’ai réalisé que je pouvais faire quelque chose qui plait à d’autres personnes et qui intéresse.

Je n’ai toujours pas encore compris pourquoi ni comment tout cela est arrivé – je ne suis pas sûre de tout maîtriser – mais je suis heureuse de ce que je fais aujourd’hui et des prochains projets qui arrivent. 

 

Inspire : 20 000 abonnés. Est-ce que tu pouvais imaginer que cela prendrait une telle ampleur ?  J’ai vu que tu passais pas mal de temps à répondre aux messages, c’est important pour toi d’interagir avec ta communauté ?

M.B : Je fais cela pour partager une passion – j’ai énormément de messages intéressants – des analyses – des réflexions – tout cela me nourrit.

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Beaucoup de personnes avec qui j’échange sont devenues des amis. Ce fut notamment le cas avec Camille Bardin avec qui je me suis rapidement très bien entendue et que j’ai eu l’occasion de rencontrer après le confinement. Camille est critique d’art. Elle dédie sa vie à défendre les jeunes artistes, notamment via son podcast @podcast_presente et via le collectif « Jeunes critiques d’art ». Je suis très admirative de son travail et j’apprécie beaucoup nos échanges. Aujourd’hui, nous travaillons même ensemble sur quelques projets et j’espère qu’il y en aura d’autres. Je m’enrichis beaucoup de toutes ces nouvelles rencontres.

Et puis je n’oublie pas que mon succès je le dois beaucoup à ma communauté, à toutes ces personnes qui ont partagé mes vidéos, qui ont parlé de moi, c’est donc la moindre des choses de prendre le temps de leur répondre et de les remercier.

 

Inspire : Si tu avais pu ou pouvais interviewer une femme artiste, laquelle choisirais-tu ?

M.B : Je me suis toujours posée la question sans pouvoir y répondre. Mais depuis trois semaines je suis plongée dans mes recherches sur Artemesia Gentileschi et plus j’avance, plus j’ai de questions à lui poser ! Comment a t-elle pu mener une telle carrière au XVIIe siècle tout en étant mère célibataire ? C’est incroyable de pouvoir l’entendre parler à travers les archives du procès de son viol et au travers des lettres qu’elle écrivait à ses commanditaires et à son amant. Mais j’en voudrais plus encore ! 3 vidéos ne suffisent pour tout raconter de sa vie. C’est une femme extraordinaire qui mérite d’être mieux connue.

Découvrez les 3 portraits d’Artemsia Gentileschi sur le compte Instagram de Margaux. 

Inspire : Quelles sont tes prochaines envies ou tes prochains projets ?

M.B : J’ai pas mal de nouveaux projets en cours – notamment en collaboration avec Camille.

Ce projet, je peux vous en parler puisqu’il vient de voir le jour. C’est Traversée, un media d’art contemporain créé à l’origine par Olivier Masmonteil pendant le premier confinement pour donner un maximum de visibilité aux artistes pendant cette période compliquée.

A la rentrée, il nous a proposé, à Camille et à moi, de co-présenter l’émission avec lui pour ouvrir les regards. 3 regards pour être plus précise : un artiste, lui, une historienne, moi et une critique, Camille.

Beaucoup d’autres projets aussi excitants que celui-ci arrivent et j’ai hâte de vous les faire découvrir.

Inspire : En quoi te sens-tu féministe ? Selon toi, l’art peut-il être un vecteur du féminisme ?

M.B : Je me suis toujours dit féministe parce que ma maman se disait elle-même féministe. Elle me disait qu’être féministe, c’était vouloir être l’égale de l’homme. Plus jeune, je pensais que c’était un combat gagné d’avance, que les choses allaient se mettre en place petit à petit.

En 2017, il y a eu le mouvement #MeToo* et j’ai compris que j’avais également été victime de sexisme, des choses qui me semblaient anodines mais qui ne l’étaient pas. Et j’ai surtout compris que ce combat était finalement loin d’être gagné.

En effet, je pense que l’art peut être une fenêtre pour aborder certains sujets plus politiques voire même pour faire passer des revendications et ouvrir le dialogue.

La vision de la femme dans l’art peut être aussi critiquée. J’ai grandi avec des reproductions de femmes nues de Rodin dans ma chambre mais je n’avais aucune image de femmes fortes et puissantes pour m’inspirer.

Dans la rue, quand on se balade à Paris, il n’y a pas un seul buste ou une seule statue dédiés à une femme et les femmes artistes encore trop absentes du monde de l’art. De la même façon que les livres écrits par des femmes ou les podcasts animés par des femmes font entendre leur voix, les œuvres artistiques laissent entrevoir leur regard, leur vision des choses.  

 

Inspire : Des lectures ou des podcasts à nous conseiller pour mieux connaître les femmes artistes ?

M.B : Pour les podcasts, je conseillerais La Poudre sans hésiter. C’est le podcast qui m’a fait comprendre ce qu’était réellement le féminisme. Il y a aussi The Great Woman Artists de Katy Hessel, très intéressant et riche d’informations. J’y apprends toujours énormément de choses.

Et bien évidemment, le podcast Présent.e de Camille Bardin. Ce sont des conversations passionnantes avec des artistes sur un ton très léger. Elle a vraiment le don de faire parler les artistes et réussit à entrer dans leur intimité.

[Note Inspire : d’ailleurs je vous invite à écouter le dernier épisode du podcast Kiffe ta race – « L’art peut-il être raciste ? », de quoi se poser encore quelques questions sur les messages que fait passer l’art et sur les stéréotypes racistes dans les représentations artistiques – un autre combat à mener dans le monde de l’art]

 

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Pour vous parler du livre qui m’a le plus marqué cette année, c’est L’art de la joie de Goliarda Sapienza. Je ne pouvais tout simplement pas m’arrêter de le lire. C’est un roman historique en Italie très particulier et surtout très amoral. Je le conseille particulièrement !

Pour l’histoire, Modesta, l’héroïne, est née en Silice dans une famille pauvre. Elle avance tout au long du livre vers son destin, persuadée que la vie est une métamorphose de chaque instant. Elle cherche à être libre. Goliarda Sapienza excelle à la mettre dans une série de situations d’enfermements, dont elle se sort toujours avec grâce et panache.

 

* Dans le sillage de l’affaire Weinstein, en octobre 2017, l’actrice Alyssa Milano relance le hashtag #MeToo créé dix ans plus tôt par la militante féministe américaine Tarana Burke. Le mot d’ordre libérant la parole des victimes d’agressions et de harcèlement sexuels a rapidement pris une dimension virale sur les réseaux sociaux. Sa version francophone #balancetonporc appelle à briser l’omerta et rapporte des témoignages allant du sexisme quotidien et du harcèlement de rue aux agressions sexuelles.

Pour découvrir d’autres portraits, c’est par ICI 

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